Héritage raté (3)

Shamael s'était depuis déjà trois jours extirpé de cette ville aux mille plaisirs qu'était Gresk. Avant de s'en aller de cette cité de péchés, l'elfe noir avait acheté des provisions de nourriture ainsi que des petites choses utiles comme de la corde, de l'huile et un briquet d'amadou. Il avait sellé son raptor, et s'était en allé avec Famine dans les fin-fonds des Ténèbres, chevauchant rapidement les lieues qui le séparaient de la célèbre Drow shol'Helfa, monstrueux territoire appartenant à ses congénères raciaux. Famine avançait à une vitesse prodigieuse, et c'était sans dire son orientation parfaite.
A la tombée de la nuit, l'elfe noir et son compagnon sanguinaire atteignirent enfin la Forêt vierge. Mais Shamael préféra attendre le lendemain pour pénétrer dans la sombre masse touffue. Il campa donc à la belle étoile, et s'endormit après avoir grignoté une miche de pain et but de l'eau des sources.

Lorsque l'aube se leva, Shamael sentit ses yeux piqués par le jour, et les ouvrit brutalement. La lumière lui perça la rétine, et il se releva d'un bond, s'étirant comme un fou. Il accrocha ses affaires à la selle, et montant Famine, il le dirigea vers l'entrée sombre et peu accueillante d'un bois corrompu par Dork-Malak lui-même. Il s'enfonça dans l'obscurité, et à peine une lieue plus loin, ce fut comme si le jour n'avait jamais existé. De ses yeux d'elfe, Shamael pouvait voir parfaitement, car c'était un nyctalope, et les semaines passées à l'urbaine lui n'étaient pas d'une grande aide au niveau de la concentration. Le silence était pesant, et le cœur de Shamael battait lentement. Il se sentait espionné, au jour de chaque prédateur du coin. De son fourreau il sortit rapidement sa dague, qu'il cabra dans sa main de manière à planter un éventuel agresseur. Pendant de longues heures il resta tendu, le moindre bruit suspect lui titillant l'oreille, agaçant ses nerfs, fatigant son cerveau.
Quand l'elfe noir fut sûr que, au dehors de la Forêt Vierge, il devait faire nuit, il aperçut une lueur rougeâtre à travers les multiples branches sombres. Puis, sur sa droite, une branche craqua. Il se retourna à la vitesse d'un fauve, mais il n'y avait rien. Shamael se déplaça parmi les arbres par rapport à la lumière douceâtre, menaçante. Soudain, deux mouvements vinrent troubler son esprit, venant du haut. Il leva les yeux, et deux elfes sombres au regard haineux semblaient ne pas vouloir lui souhaiter la bienvenue, épée courte en main. Shamael n'eut le temps que de faire un mouvement fluide de l'épaule pour éviter les coups, et d'agressé il devint l'agresseur.
Les corps appartenaient à deux jeunes du clan de Drow shol'Helfa, probablement. L'assassin les avait fouillés, et détroussés de ce qui aurait pu avoir une quelconque valeur. Lorsqu'il les avait étripé, il les avait ensuite égorgés, pour être sûr de la mort de ces inconscients. Il n'y avait plus de lueur infernale. En fait, elle venait d'un rubis aux multiples facettes que possédait l'un des tueurs. Shamael se dirigea comme il put, et là, il put enfin découvrir une clairière. Un elfe noir, uniforme de garde, menaçait quiconque voulait entrer.

-Je suis Shamael, Ange de la Mort pour certains. Reconnais là mon signe ! avait soufflé l'assassin, en exhibant sa lame.
Intéressé, le garde n'arrivait pas à décrocher les yeux de l'objet.
-Bienvenue à toi, frère. Ils t'attendent dans la Grande Hutte. Si j'étais toi, je ferais attention de ne pas trop montrer ta dague.
Shamael acquiesça d'un signe de tête.
-Dork-Malak !
-Dork-Malak, répéta l'assassin.

Il entra dans une immense clairière, elle même entourée de murailles végétaux. Il repéra la Grande Hutte. C'était une cabane positionnée entre deux arbres. Elle brillait. L'or qui la parait était brut. Et les joyeux qui habillaient la masure de bois semblaient tout droit sortis d'un conte. Soudain, Shamael décela un détail très important: il n'y avait personne. En fait, il y avait une cinquantaine de personnes qui l'observaient, les pairs d'yeux étincelant dans le noir des ébènes. Les ignorant, le tueur d'Alkimen marcha à grandes enjambées ce qui le séparait de la hutte que même les nains auraient aimée. Shamael grimpa rapidement l'immense arbre à l'écorce de jais. Il entra dans une somptueuse cabane, où des tapis rivalisaient de beauté avec les tableaux. Les murs semblaient être faits de rubis vermeille. Après cette contemplation, il vit un vieil elfe noir tout ridé, derrière lequel se tenait un jeune, fier et arrogant elfe noir. Son fils.

-Bienvenue à toi, Shamael.
Shamael fit un signe de tête en guise de réponse.
-Je t'ai fait convoqué pour une simple raison: je vais mourir. Je voudrais confier ma place dans les mains d'un elfe digne de ce pouvoir, et devoir. J'ai pensé à mon fils, Ral'Vol'El, celui qui voit Dieu en ancienne langue. Dieu est bien évidemment le sacré Dork-Malak. Mettons cela de côté. J'ai également pensé à toi en successeur.
Shamael fit une grimace qui ferait froid dans le dos à n'importe qui.
-Sois sûr que j'en serais honoré, dit Shamael d'un ton doucereux. Mais arrête les palabres et viens-en au but. Je suis fatigué.
Le fils du doyen laissa dessiner une ombre haineuse sur son visage.
-Je voudrais que l'un de vous deux réussisse à s'accaparer de la Dague de Morlak, située dans un vieux temple dans un temple pouilleux qui honore ce maudit Lum'Dix, non loin du grand labyritnhe, dans la Chaîne Dagnar.

Shamael ne laissa aucun sentiment peindre sa face sombre. Il possédait cette dague depuis quelques années déjà, après l'avoir libérée de sa prison lumineuse.Mais Ral'Vol'El aperçut l'expression réfléchie de son rival. Il baissa les yeux vers la dague de l'assassin, qui brillait sournoisement, et soudain il comprit. Il sortit son épée fine de son fourreau, mais déjà sa gorge mouillait de sang son corps, et il tomba en arrière. Horrifié, le doyen ne comprenait pas. Souriant cruellement, Shamael lui montra son arme, et la peur se lisait dans les yeux du vieil elfe. Plus pour longtemps. Shamael venait de plonger sa dague dans le plexus du vieux, et la vie le quitta. L'elfe noir vola le plus de pierres possible, ramassa un tapis, et sortit de la Grande Hutte. Une foule le regardait avec un regard noir et brutal. Shamael hurla à pleins poumons, ce qui déstabilisa le peuple de Drow'shol'Helfa. Il profita de cette hésitation pour s'enfuir. Mais déjà ses poursuivants le rattrapaient. Il se jeta sur Famine, et s'en alla, les ronces et les branches taillandant sa peau noire peu à peu. Après deux heures de course-poursuite, ses opposants lâchèrent prise, et il sortit enfin de la forêt. Il fallait retourner à Gresk, où il serait beaucoup plus en sécurité. Son raptor avait compris, et lorsque le jour se leva, ils aperçurent Gresk. Cela rassura Shamael.