Shamael se baladait dans Gresk. Il avait terminé un contrat bien encombrant. Il venait d'éliminer un paladin lumineux, Alkimen d'Irion. Pour la première fois, il n'avait pas été heureux de tuer le pauvre chevalier. Mais c'était une question de principes: on l'avait payé pour l'assassiner. Pourtant, lorsqu'il avait attrapé la tignasse dorée salie de sueur et de poussière, Shamael avait hésité à trancher la jugulaire saillante de l'humain. Ce dernier avait dû le remarquer, car il avait craché ses mots là: Tu es né pour me tuer. Une ombre de peur et de tristesse avait voilé le regard écumé du paladin, mais l'Ange de la Mort avait bougé son bras. Le sang avait giclé, éclaboussant le visage sombre de l'elfe noir. "Merde ! Je ne devrais pas penser ça ! Je devais le tuer, et je n'ai aucun regrets à avoir." Lorsque Shamael débarqua dans la taverne crasseuse, il se dirigea vers le comptoir.
-Je voudrais deux filles, et dix gzels de boisson.
Il avait lâché ces quelques mots, et le regard du tavernier orc s'alluma: dix gzels de boisson ! Etait-il fou, ce pauvre elfe ? Mais après tout, c'était lui qui possédait l'argent, donc libre à l'elfe de se ruiner en filles et en vin.
-Race des filles ? grogna la propriétaire, dévoilant ses crocs jaunis par la chair dont on ne voulait pas connaitre la provenance.
Shamael voulait une humaine, bien potelée et rondelette des fesses, et une de ses congénères du bien, pour lui montrer qui était le maître. Il jaillirait sa haine dans ses orifices, et ainsi il oublierait cet humain qui l'avait bien assez troublé. Foutus lumineux de merde ! Il rejeta son hésitation sur les pouvoirs spéciaux du jeune guerrier. L'orc laissa s'échapper un son rauque de sa gorge épaisse et verte. Il s'impatientait.
-Je veux une humaine, et une elfe. Une elfe traitre au grand Dork-Malak.
Au nom du seigneur du mal, chaque soûlard porta son verre au dessus de lui en disant "A Dork-Malak". Le tavernier fit un signe de tête pour dire qu'il avait compris, et se retourna vers le derrière de sa table. il fouilla deux-trois tirroirs, et ressortit de l'un d'eux une vieille clef cabossée, avec un bout de bois accroché étalant les numéros rouillés "011". Shamael monta un escalier vieux comme le jour, et chercha d'une vision de faucon ladite chambre. Lorsqu'il la repéra, il introduisit violemment la clef dans une serrure gluante. Il tourna deux fois, et la porte s'ouvrit. Un tableau représentant le néant par un peintre inconnu, un vieux matelas poussiéreux posé en équilibre sur une table, une chaise: voilà le mobilier qui composait la pièce crasseuse. Shamael, soudain terrassé par une fatigue lourde, s'allongea sur la couche pourrissante. Trois coups frappés à la porte. Shamael se redressa subitement, dague à la main. Il lâcha un sinueux "entrez", et deux femelles (une humaine et une elfe) au regard soumis tiraient un chariot-tonneau rempli de bière brune.
Durant toute la nuit, il fit l'amour et but comme un fou. Lorsqu'il se réveilla, il vit qu'il avait malencontreusement planté sa dague dans le ventre de l'elfe. L'humaine, terrifiée, sanglotait. Shamael se releva, sourit sinistrement, et déchira la gorge de la pauvre esclave. L'haleine puante, il alla dans la petite salle de bain plonger sa tête chevelue dans une eau sale et glaciale. On dira ce qu'on voudra, mais les auberges des ténèbres étaient dégueulasses ! Shamael se fortta la peau comme il le put, se vêtit de son habituel costume d'assassin, et descendit payer la note. L'orc releva les yeux du comptoir, et ordonna vingt gzels. L'ange de la mort tendit les pièces, pui s'en alla sans un bruit. Il en avait oublié le paladin. Quel... bonheur ! A ses mots résonnant dans son crâne corrompu, Shamael partit d'un rire tonitruant, cabrant ses côtes.