Dans la Taverne... (1)

Alkimen était sorti second au diplôme de paladin. Cherchant une place où fêter ça avec ses amis qui l'avaient réussi eux aussi, il se dirigea un peu aléatoirement dans les ruelles d'Irion, et tous n'arrêtaient pas de ressasser leurs terribles examens.

-Et là, ils m'ont sorti un gobelin droit sorti des Plaines Noires. J'ai cru qu'il allait me tuer ! Mais d'un coup d'épée bien placée, je la lui ai décrochée ! se ventait Gliphéon, reçu dernier de justesse. Stan le Centaure, dont la sagesse n'égale que son coup de sabot, élucida le grand mystère de savoir comment Gliphéon avait réussi.

-Cher ami, commença-t-il, n'étais-ce pas le monstre adolescent qu'ils réservaient à Tiphus ?

Sa voix grave et paisible avait fait sourire tout le monde, et Gliphéon s'était renfrogné d'un coup. Il fit la tête jusqu'à ce que nous arrivions à la célèbre taverne du "Troll Ébouriffé". L'auberge était assez simple, et un troll empaillé semblait toiser les nouveaux arrivants d'un regard de mort. Alkimen s'assit confortablement dans sa chaise basse, et sortit de sa veste aux mille poches une petite pipe en terre cuite. Il la bourra d'un peu de tabac aux arômes édifiants, à la framboise et au miel on aurait dit, et grâce à une petite bougie, il l'alluma. Tirant de petites bouffées, serein, il écoutait ses amis raconter des blagues, où parler de la serveuse en l'imaginant faire plein de galipettes.
L'aubergiste, Drunner Joe, était un petite homme gros qui avait dû un jour avoir la carrure d'un petit ours, et pourtant il ne ressemblait plus qu'à une serpillère à vin.

-J'vous sers quoi ? demanda-t-il en grognant, comme si on l'avait dérangé de sa cuite. Le centaure, serviable de tout cœur, commença par commander une grande salade et un pichet d'hydromel.
Personne ne lui reprochait ses goûts... disons-le, animaux.

Gliphéon ordonna tout d'abord la serveuse, en partant d'un rire gros et franc, sous le regard sévère et lourd du tavernier. Voyant que sa plaisanterie n'avait fait rire personne, il bougonna qu'il voulait une côte de bœuf bien saignante et une carafe de bière blonde, fraiche de préférence. Alkimen quant à lui réfléchit un instant, avant de prendre lui aussi la côte de bœuf saignante. Il voulut avec cela une petite salade de tomates, et le meilleur vin d'Irion: il avait économisé de côté pour tout payer.

Ils attendirent une bonne demi-heure avant qu'on ne leur serve leurs plats. Joe déboucha ensuite un vin rouge de Kor datant de six ans. A la robe rouge violacée, épaisse, les odeurs qui s'en échappaient laissaient penser à du gingembre, des clous de girofle mais aussi de la fraise, et une teinte de menthe. Servant trois verres aux seigneurs, il s'en alla, chiffon crasseux sur son épaule. Les trois bacheliers dégustèrent leur vin avec aisance. Après une heure de voracité, Gliphéon se leva, prétextant l'envie de se soulager, mais tout le monde avait vu son clin d'œil faite à la serveuse. Il revint trois minutes après, une large trace pourpre sur sa joue droite. L'air de terrible humeur, ni Alkimen ni le centaure ne fit de commentaire, même s'ils avaient souri en voyant le visage de Gliphéon.
Du bruit se fit dans la salle, un homme qui criait des insultes aux dames et qui tapait du pied en réclamant du vin. Encore un ivrogne, pensa Alkimen. Le poing du forcené s'abattit sur la tempe de Drunner Joe, et lorsque le bourré se retourna, ils virent la face miroitante de Typhus, le recalé.
Stan voulut se lever, mais Alkimen, allure mince et légère dans sa veste en daim, lui posa calmement une main sur l'épaule. Il se leva et se dirigea vers le bruyant Tiphus. Ce dernier reconnut celui qui était second Paladin de l'Empire.

-Sacré fils de pute ! Tu es passé, toi !

Et il tenta de frapper Alkimen, qui lui prit d'un geste la main et lui tordit le poignet violemment, faisant gémir le pauvre diable. Il lui envoya ensuite son pied dans la face, et le sang gicla du nez de Tiphus. Alkimen l'attrapa ensuite par le cou, et le jeta hors de l'auberge. Il revint ensuite à la table, fier de lui. Le tavernier revenu à lui leur offrit le repas, mais le trio ne voulait pas encore partir. Ils payèrent quelques autres bouteilles de gnôle.