Le navire avait quitté le Port D'Irion il y a presque une heure. Il était en bois verni, gravé d'arabesques terrifiants qui rappelaient la Bataille du Centre du Monde. Sur le bateau l'atmosphère était tenue, serrée, comme si personne n'avait droit de parler. Alkimen analysa les marins, et on les aurait dit soumis. Le fouet du Capitaine Harshur -tel était son nom- claquait avec véracité. En contemplant ses oreilles percées de clous noirs, son regard vert de vase, on aurait dit une créature mi-homme mi-orc, mais peut être Alkimen rêvassait.
Harshur se dirigea vers le paladin et d'une voix de ténor, il hurla:
-Qu'est que tu fous, maudit bâtard ?! Ou plutôt ce que tu ne fous pas ! Les cuisines sont pleines, certes, mais la cage aux prisonniers a besoin d'un homme qui les nourrisse, et pas comme une maudite catin de mère mais comme un dur et vrai esclave ! Alors vas, fichtre, ou tu tâteras de mon fouet !
Alkimen était abasourdi. S'il avait bien compris, le terrifiant capitaine l'avait pris comme voyageur simplement pour l'avoir comme marchandise. Et il s'était fait prendre naïvement ses affaires, dans sa "cabine", avaient-ils dit. Maudits démons ! Que fallait-il faire ? Se rebeller de ses poings ou goûter au tranchant usé de l'épée... orc qu'avait à son côté Harshur. "Damné sois-tu, vile orc !" pensa Alkimen. Et gardant la tête haute, il demanda poliment où étaient les cales pleines de prisonniers.
-Tu me demandes où c'est ? cracha le traître. Et le fouet claqua sur le visage d'Alkimen. Le sang perla, et Alkimen ne tenta rien pour le moment. Il se dirigea vers ce qui semblait un petit escalier de fer menant aux cachots. Plus de lumière, plus de vie semblait-il aussi. Et pourtant l'on entendait les reniflements âcres et locataires, et le souffle rauque des tortionnaires. Un marin mit dans les mains du paladin une large bassine pleine de ce qui paraissait être de l'huile mais qui était une soupe aux légumes verts, basé sur de l'eau surtout. Les prisonniers affamés tendirent leur coupe pleine d'espoir, et Alkimen leur servit de bonnes parts. Après cela, on lui donna une corbeille à miches de pain rance qu'il offrit aux captifs. Après, on lui indiqua son poste, un petit coin où il devait taper sur les détenus si jamais l'un remuait trop.
Il fit cette besogne pendant plus d'un mois, perdant graisse et muscles avec ça, mais la nuit, pour garder une quelque force, il s'entrainait à taper dans des sacs de sable. Chaque jour il était battu, et sa haine grandissait. Il gardait son calme toutefois comme on le lui avait enseigné, pour ne pas faire des actions irréfléchies qui le mèneraient droit à une mort certaines.
Après ce qui sembla un mois et demi, on le sortit du noir, et le soleil lui abîma les yeux. Le capitaine avait rassemblé tout le monde, esclaves et prisonniers, tandis que cadavres de détenus ou d'esclaves tués à la tâche rejoignaient la mer et ses habitants. Harshur hurla d'un ton de commandant bien sévère:
-Nous arrivons au port qui rejoindra les Plaines Arides. De là nous irons rejoindre l'Avant-poste de nos maîtres les Orcs, créatures sacrées de Dork-Malak, Roi de toute vie sensée sur la Terre Noire de Dionor ! Vous serez gardé de bien vous tenir, si vous ne voulez pas finir dans le chaudron d'un Troll.
Et de sa voix doucereuse, il ordonna à tous de se mettre en rangs, droit comme des lances. Certains n'en avaient pas la force; ils furent jeté par dessus bord, sans autre mesure qu'un coup de bâton entre les jambes. Une bestiole maritime sembla apparaitre car bientôt l'eau se fit pourpre. Alkimen avait toujours mal aux yeux, mais pouvait distinguer les mouettes, signe que la terre était proche. Il se vengerait. Bientôt...