Pré-quête (10)

Alkimen avait dormi plusieurs heures, car lorsqu'il se réveilla, il aperçut par le biais du hublot de sa chambre les tours d'Irion s'éloigner. Le paladin se frotta les yeux, eut un long frisson, et par le grognement effarant de son ventre constata qu'il avait faim. Il décida toute fois de se nettoyer avant d'aller voir le capitaine Zigwar. L'humain ouvrit sa cabine, et interpella un matelot elfe qui passait par là. Il lui commanda une bassine pleine d'eau, une brosse, et une sorte de pâte à la lavande qu'on appelait savon, révolution récente qui aidait à curer la peau de ses saletés. Alkimen attendit quelque temps, allongé sur son lit, et quand on frappa à sa porte et qu'il l'ouvrit, le jeune marin se fondit en excuses. Cela avait tardé en raison du fait qu'on avait chauffé l'eau. Le paladin remercia dignement le servant en lui offrant un bijou quelconque, en argent, l'or lunaire si vénéré des elfes. Le matelot se courba, puis s'en alla faire ses besognes lourdes de responsabilités. L'humain se savonna le corps, enlevant la crasse sur ses pieds, dans ses oreilles. Il se brossa les cheveux, après les avoir mouillés. Quand enfin il se vit satisfait, Alkimen se sécha à l'aide d'une longue cape râpeuse propre à l'usage. Armé d'un peigne, il démêla plus ou moins sa tignasse dorée parsemée d'épis.
Il prit une bonne heure à se laver et s'habiller. Il se vêtit d'une chemise émeraude épaisse à l'intérieur renforcé de laine, d'un pantalon en coton noir. Il mit des espadrilles typiques des marins. Il sortit, et reçut l’air comme un cadeau divin. Il parcourut les quelques pieds qui le séparaient du ponton, et contempla les eaux turquoises de cette Mer Ghorgé. Des minutes passèrent sans que rien ne trouble son esprit, envoûté par ce spectacle de saphir. Il sentit une main se posait sur son épaule droite, et tournant la tête, il découvrit le visage élégant du capitaine Zigwar.

-C’est beau, n’est-ce pas ? interrogea l’elfe.

En signe d’assentiment, Alkimen hocha la tête légèrement. Zigwar relâcha son emprise, et sortit de sa poche une pipe en terre cuite, qu’il bourra avec une poudre rougeâtre et quelques feuilles de menthe. Il extirpa de sa poche un bout de glace, qu’il suspendit au-dessus de sa tête de manière à ce qu’un rayon de soleil frappe l’objet et se concentre sur le bout de la pipe bourré. Ainsi bientôt une fumée aromatisée de menthe et de fruits rouges s’évanouit dans l’air, caressant les narines du paladin. Le capitaine tira une bouffée âcre, et fit passer à Alkimen. Lui-même commença à sentir un effet vaporeux et euphorique en sa personne. Zigwar proposa une partie de jeu d’échecs à l’humain. Ce dernier, pris de contentement, acquiesça et ensemble, ils partirent jouer dans une petite salle garnie de pouffes de velours, d’un tableau représentant Irion sous les rayons chaleureux du Dieu Célèste, d’une table basse en noisetier verni et poli et peint de brun, et de tapis orientaux aux arabesques brodés d’or. « Un vrai palais pour un elfe ! pensa Alkimen avec un air ravi. Ils s’amusèrent à échanger la victoire pendant plusieurs heures, et vint un temps où le paladin se rappela sa faim et il demanda au capitaine si celui-ci pouvait faire venir nourriture. Une heure après un serviteur arriva et proposa une oie farcie aux agrumes et à l’ail, accompagnée de pommes caramélisées, tout cela avec une tarte aux champignons des Terres Arides, et un vin rouge de six ans d’âge mêlerait le tout avec harmonie. Les heures défilèrent, et Alkimen fut soudain assailli par la fatigue. Il s’excusa auprès de ce capitaine qui avait le temps de faire des parties d’échec, de manger et de fumer sans commander son bateau. Mais le paladin n’avait pas vraiment l’esprit à réfléchir. Peinant à retrouver sa chambre, il prit du temps à la retrouver. Il s’effondra sur son lit, mais il réussit à se relever pour fermer le loquet de la porte. Il tomba dans les bras de Morphée une nouvelle fois.

Le stress était passé après une bonne demi heure et Sheïm put enfin espérer faire quelque chose lors de ce périple. Il regarda par une sorte de hublot et vit la mer frissonner au contact du vaisseau elfe.
L'individu se sentait bizarre, comme si son cheval, avec qui il n'avait passé que peut de temps, l'appelait.
Il se dirigea alors vers la cale, où étaient stocké tous l'inventaire lourd du bateau. Il y trouva des épées, des haches, des boucliers, des lances, des caisses, des tonneaux, et les montures diverses.
Parmi elles se trouvait un cheval de couleur claire. Il n'eut pas de mal à se faire remarquer ; cette étalon gigotait dans tous les sens et son entourage sentait la fougue qui animait ses yeux. Il avait l'air furieux, mais aussi, une pointe de gentillesse filait de son attitude. Il devait avoir un bon maître.
En parlant de maître, Sheïm alla voir comment se comportait sa jument.
Elle était calme, comme à son habitude, depuis que l'elfe l'avait acquise. Quand elle vit que son possesseur s'approchait, elle fit de même avec son museau. Elle renifla l'odeur de l'homme tandis que ce dernier lui caressait la tête au niveau de la "joue" gauche. Dans un petit hennissement, elle fit clamer son sentiment de tendresse envers son maître, vers qui elle pouvait se tourner si besoin était.
Sur ce doux échange d'amitié, l'elfe décida d'aller sentir le vent caresser ses joues, à son tour, avant que peut être, un dieu décide de caresser le vent.

Deux étages au dessus, Sheïm entra sur le pont. Le bateau était partit depuis peu et quelques mouettes le suivaient encore. La nature faisant partit de la vie d'un elfe, chaque matelot dans ce navire devait comprendre chacun des comportements, qu'ils soient de l'eau, ou des animaux.
Les mouettes riaient et avaient l'air heureuses, se laissant porter par la brise, qui faisait face au dos du bateau.
Le passager, curieux de son premier voyage en haute mer, décida de monter à la vigie, où un elfe, à l'ouïe fine et à la vue perçante, traquait l'horizon, et serait bientôt suivit par un visiteur, sans le savoir.
Après la dizaine de mètre que mesurait l'échelle, Sheïm, demanda une place à l'éclaireur, qui la lui laissa volontiers. L'échange de quelques paroles là haut permettait de décompresser d'une atmosphère tendue, scrutant le moindre recoin, la moindre parcelle d'eau à la recherche d'une chose intruse à la tranquillité de la mer.
Après quelques mots, l'intrus déclara ne pas voir grand chose.

-Oh mais ce n'est pas grave, mon frère. La mer n'échange pas grands mots en ce moment.

"Ce n'est pourtant pas ce que disent les mouettes... Elle ressentent une odeur rustre, qui commence à s'associer à la notre."

-J'ai beau voir, je ne vois rien. Peut être avez vous une vue plus développée que la mienne.

"Hélas, mon frère, j'ai été victime de la cécité, et qui sait bon nombre de choses que je regrettes de n'avoir pu voir durant une bonne partie de mon existence."

-Je...Je suis navré...je...

"Beaucoup de gens gens le sont. Néanmoins, je vous dirais de regarder à bâbord, les mouettes sont parties et un bruit se rapproche de nous, à grande vitesse."

L'elfe regarda à gauche du bateau et vit une silhouette malfaisante.

-C'est...c'est un bateau pirate ! Allez prévenir le capitaine dans la cabine ! Vite !!

"Bien ! Où se trouve-t-elle ?"

-C'est la porte située à droite quand vous êtes sorti tout à l'heure ! Je vous en prie.

Sheïm descendit sur le pont en l'espace de quelques secondes. Il courut vers la porte, plus ornée que celle que les voyageurs empruntaient. L'elfe se passa de prendre la peine de frapper à la porte et l'ouvrit d'un violent geste du bras. Le capitaine se retourna en sursaut et fixa l'homme d'une façon plutôt contraignante. Avant que l'elfe eu le temps de parler, Sheïm s'exprima le premier.

"Capitaine, un bateau pirate est en approche ! D'après leur trajectoire, je penses qu'ils tentent de nous éperonner."

-Laissez moi à mon travail et occupez vous du votre. Allez réveiller les passagers, et dites leurs que cx'est la crise sur le pont. Il y a des armes dans la cale. Et plus vite que ça !

Sheïm préféra ne rien dire car l'ambiance était déjà très sinistre. Sheïm laissa sortir le capitaine, presque bousculé par ce dernier, avant d'agir à son tour. Il se dirigea vers les cabines - comme si les dieux suivaient l'évènement, le ciel noircit approcha en même temps que le navire ennemi.
Sheïm ouvrit les portes les unes après les autres, criant à l'abordage, soutenant que des armes se situaient dans la cale. Un seul passager ne répondait pas, sur les six présents sur le vaisseau. Sheïm alla enfiler ses armes - il sortit son Fauchon de son fourreau, l'examina, puis le remit. Il équipa ses deux carquois, puis son arc composite - puis retourna brusquer l'homme endormi. Par la plus abrupte des coïncidences, cet homme était le chevalier, rencontré plusieurs fois depuis l'arrivée de l'elfe à Irion, capitale de la terre sainte de lumière.

"Monseigneur ! Réveillez vous ! Les pirates nous attaquent !"

Sheïm espéra ainsi de tout se cœur que ce brusque réveil allait être la dernière chose qu'il aurait à faire avant d'aider des compatriotes à la surface.

"Monseigneur ! Réveillez vous ! Les pirates nous attaquent !"

Alkimen poussa un grognement dans son sommeil, il semblait entendre des voix. Troublé dans son rêve, une chaleur s'empara de lui pour lui faire ouvrir les yeux. D'un geste brutal de la main qui lui arracha un soupir ennuyé, il se frotta le regard tiédi par le repos qu'il était entrain de goûter. Dégageant le bras, il découvrit un elfe penché sur lui, les traits fins typiques de sa race, mais crispés par la peur ou la détresse. Cependant, l'elfe avait une manie de fermer les yeux qui était dérangeante, qui lui donnait un air plus sage que son âge lui aurait donné. Le paladin, affalé, se redressa avec lourdeur, faisant part ainsi d'une caractéristique peu gracieuse de sa race. L'humain avait le dos un peu courbé, et de plus, la drogue n'avait pas totalement dissipé ses effets envoûtants. Alors qu'il semblait que l'aveugle allait dire quelque chose, le paladin leva un doigt pour lui dire d'attendre, ou peut être de se taire, et plongea sa tête dans une petite bassine où l'eau avait dû être chaude des heures auparavant, mais qui maintenant avait pris froid et rejet son manteau glacial sur le visage humain. Alkimen retira son crâne, les cheveux trempés plaqués sur son front. Il ramassa la couverture rêche, prenant tout son temps, ce qui devait partiellement énerver l'elfe. Le soldat sécha sa tignasse dorée, et après un long frisson et une crispation des membres, il se déraidit et tendit l'oreille.

-Les pirates s'avancent de plus en plus ! Ils vont nous aborder ! On va tous crever ! cria un elfe, son cri porté par le vent atteignant l'ouïe plus ou moins fine de l'humain.

Alors Alkimen ramassa rapidement son épée, et ce changement de comportement fut accompagné d'agilité et d'une rigueur plus exemplaire. Il se dévêtit pour enfiler une côte de maille sur un pourpoint en cuir, des jambière également en cuir avec des bottes du même matériau, et flamberge en main, il interrogea l'elfe d'un ton suave, peut être causé par les effets de la drogue:

-Rapport ! demanda-t-il comme s'il était à l'armée.

Puis constatant ses mots risibles avec mépris, il redemanda avec un ton de commandant mais qui sonnait plus amical qu'avant quelles étaient le nombre des troupes ennemies. Il se frappa le crâne comme s'il avait été bête de demander cela, car il n'était qu'à quelques pas de l'affrontement à venir. Alors il sortit sans attendre la réponse de l'elfe. Un navire à la voile terrible, une tête d'elfe avec des os plantés dans les orbites vides, naviguait très rapidement. Le vent poussait ses voiles avec plus de vigueur que celles du vaisseau de Zigwar. L'humain se fila quelques baffes pour se réveiller, puis commença à lancer des ordres, criant à certains de chercher toutes les armes qu'ils pouvaient trouver, d'autres de se replier vers les cales avec quelques lames au cas où, et encore à des différents marins d'aller s'occuper de barricader les écuries. Ainsi les matelots lui obéirent sérieusement, prenant leur rôle très à cœur car ils tenaient à la vie autant qu'à leur travail. Alkimen rejoignit le capitaine qui donnait les dernières directives, et l'apostropha sur les quantités d'armes que le bateau contenait.

-Nous n'avons que des rapières d'occasion et des arcs pas très performants. En revanche, nous avons une quantité de flèches quasi-inépuisable. Moi, j'ai ma dague elfique, et mon second aussi. Mais les autres...
Effectivement, nous sommes dans l'embarras... reprit Zigwar. Les corsaires en face de nous ont l'air passablement violents, car je connais cette voile. C'est Missar-le-Borgne, un terrible gobelin connaissant la mer et ses pièges mieux que quiconque. Pire, il sait les utiliser. Je ne connais malheureusement pas le nombre exact de ses troupes.
-Tant pis, nous ferons tout notre possible, avec nos moyens. Avez-vous une maudite petite chèvre ou n'importe quel porc ? demanda le paladin.
-Pourquoi faire ? répondit Zigwar avec une pointe d'incrédulité.

L'humain se renfrogna, puis murmura quelque chose comme "religion" ou "sacrifice". L'elfe sembla comprendre, car il alla chercher un cochon noir, et tendit sa dague à l'humain. Celui-ci arrêta les marins d'un cri et leur dit qu'il fallait prier quelque peu s'ils voulaient avoir la faveur des Dieux d'en haut et non la fureur de ceux d'en bas. Levant la lame, il chantonna:

-Par tous les Saints, par Lum'Dix le pieux, par son père le Vieux,
Par la mer et ses habitants, par les chimères et leurs dents,
Je vous en prie, offrez-nous la victoire, et nous serons vous récompenser de notre gloire.

Ainsi tous se signèrent, et attendirent la suite des évènements avec un creux au ventre.

Après quelques longues secondes, l'homme ouvrit les yeux. Il avait l'air flasque et prenait son temps dans ce moment de crise. Il fit une petite toilette, prit la peine de bien se réveiller en laissant en plan l'elfe qui attendait sagement devant la scène plutôt innocente, mais aussi irritante. La main levée depuis le début, l'homme semblait peu se soucier de ce qui arrivait à travers le hublot de son bateau. A peine eut-il fini et baissé la main que Sheïm s'écria.

"Les pirates s'avancent de plus en plus ! Ils vont nous aborder ! On va tous crever !"

Puis il sortit son épée de son fourreau comme pour montrer l'exemple. L'homme mou qui s'était présenté devant l'elfe est soudain devenue plus droit et rapide. Il ramassa son épée, enfila une côte de maille sur un pourpoint en cuir, des jambières et des bottes du même matériau. Puis il demanda d'un ton brusque le rapport de la situation. Apparemment, le remarquant de lui même, l'homme, répéta sa question de façon plus amicale. L'elfe ne trouva qu'à lui montrer la direction de la sortie de la main tandis que l'homme se tapa la tête, repensant à l'erreur qu'il venait de commettre.
Il partit de ce pas et l'elfe le suivit agilement.

Arrivés sur le pont, le chevalier demanda au capitaine les informations sur la situation, se tenant en tant que chef des troupes présentes, alors que les autres tentaient vainement de tout faire pour pouvoir rester en vie. D'après le capitaine, les armes présentes dans la cale semblaient assez vielles et détériorées mais la profusion de flèches pouvaient servir.
L'elfe qui montait la garde venait de descendre et remarqua l'aveugle qui avait pris part à son poste il y avait quelques minutes. Sheïm demanda à ce dernier de lui apporter un panier rempli de flèches et de tissus, ainsi que de l'huile et une torche.
Pendant l'attente, la discussion entre les deux grands parlait de croyances, de la religion de l'humain autour de tous les elfes et de quelques individus de sa race.
Un cochon noir fût apporté afin de permettre au chevalier de faire un sacrifice au dieu regardant son enfant depuis les cieux. Ce n'était pas dans la nature des elfes de faire une offrande, et encore moins de faire un sacrifice pour une raison qui dépasse la pensée.

-Par tous les Saints, par Lum'Dix le pieux, par son père le Vieux,
Par la mer et ses habitants, par les chimères et leurs dents,
Je vous en prie, offrez-nous la victoire, et nous serons vous récompenser de notre gloire.

Ainsi, quelques personnes s'agenouillèrent, regardant les cieux. Mais les elfes regardaient cette scène, tout en tolérant la religion des humain, avec un mépris vis à vis d'un animal qui allait être tuer pour porter chance, soi disant, dans l'issue de cette bataille.

Sheïm s'avança vers l'homme tandis qu'il espérait toujours et l'informa quelque peu.

"Monseigneur, les dieux que vous vénerez ne sont pas ceux de notre peuple. Et si je puis me permettre, j'aimerais faire de même pour mes semblables."

L'elfe resta à genoux et pria, dans le langage elfique, l'arbre des complaintes, père de tout vie elfe, de prêter courage et puissance dans la bataille qui allait faire rage d'ici peu. Paroles d'une douce mélancolie, l'elfe prononça les phrases le plus universellement possible. Il se releva et prononça l'appel au combat vers les individus de sa race.
Le garde revint avec le panier et la torche et les confia à Sheïm. Ce dernier s'excusa de devoir partir pour un point plus approprié.
Les bateaux ennemis se rapprochaient mais le capitaine faisait gagner du temps en faisant prendre la fuite à son vaisseau.
L'elfe enfila le panier comme un sac et pris la longue torche dans sa bouche. Il monta sur le poste de garde. Le ciel avait noircit mais il n'y avait aucun signe de foudre ou de tempête à l'horizon. Arrivé en haut quelques secondes plus tard, Sheïm posa le panier à terre, en sortit toutes les flèches et imbiba le tissus d'huile. La torche était accrochée sur un des poteaux de bois qui étaient omniprésent sur la vigie. Durant la minute qui suivit, l'elfe prit soin d'accrocher le tissus huilé au flèches qui jonchaient le sol. Le huit bateaux pirates poursuivaient toujours le croiseur elfe dans une formation imitant, vue depuis le ciel, la lettre grecque Delta. Comme un ajustement, Sheïm, les yeux ouvert pour cette fois, sortit une des flèches en bois qu'il avait crée dans la forêt dont il était originaire, et leva son arc vers un nuage lointain.
La flèche fut décochée et tomba à une vingtaine de mètres du bateau le plus proche.
Les flèches enflammées, avec la chaleur, avaient un poids plus léger que sans le feu qui les animait. Ce qui faisait des flèches aussi légères que celles faites uniquement de bois. Mais qui étaient qui plus est plus précises de par les plumes qui ornaient leurs embout.
La flèche de feu tiré fila à travers les airs, et vint percuter la proue du bateau. Rien ne se passa, tout le monde resta bouche baie, pensant à l'inutilité du geste de l'elfe.
Quelques flèches furent nécessaires ; une flamme jaillit, puis se dispersa en s'amplifiant. Le feu recouvrit bientôt le vaisseau entier, faisant changer de tactique la formation pirate.
Un des humains, abasourdit, se retourna pour voir l'elfe qui avait majestueusement triomphé, avec plusieurs flèches, d'un bateau pirate, et son visage devint plus froid, comme si ce qu'il regardait n'était pas naturel.

-On...on croirait voir le dieu de la mort !

Les elfes fermèrent les yeux par respect des hommes, sans pour autant se signer. Celui qui avait réveillé le Paladin sembla comprendre que ses congénères à l'air atterré avaient peur eux aussi, et se tournant vers Alkimen, il lâcha bravement ces quelques mots:

-Monseigneur, les dieux que vous vénérez ne sont pas ceux de notre peuple. Et si je puis me permettre, j'aimerais faire de même pour mes semblables.
-Mais vous n'avez pas besoin de mon avis sur la question... grommela le soldat humain, presque honteux de se faire demander ainsi son opinion sur la force qui permettraient aux elfes d'avoir le courage de combattre les terribles corsaires.

Alkimen entendit le chant mélodique de l'elfe, répercuté par les autres, telle une brise légère qui amènerait la flamme de l'espoir en ces lieux, contre les pauvres créatures corrompues qui allaient sûrement les abattre, compte tenu du si petit nombre d'effectif de leur côté. Alkimen redressa la tête, bourdonneuse de mélancolie, le chagrin pesant tout d'un coup sur son cœur de gamin. Car certes il avait dix-neuf ans, mais ce n'était encore qu'un enfant, même après le coup des orcs. Il repensa à ses parents, en fait, il se souvint de ses trois frères, morts au combat. Il avait voulu se faire paladin pour être reconnu, pour leur vouer un dernier clin d'œil, un dernier hommage. Une larme perla sur son visage fermé d'acier (il avait remis un heaume). L'elfe qui avait surpris l'humain soudainement courut du ponton vers le poste situé au-dessus d'eux. Et quelques minutes durant lesquelles les huit vaisseaux ennemis se rapprochèrent et où Zigwar tenta de faire naviguer hors de portée le pauvre croiseur elfe, des traits enflammés volèrent du haut de leur bateau, et bientôt un bateau perdit l'allure dans les flammes vengeresses.

-On...on croirait voir le dieu de la mort ! hurla un humain, qui avait très peur de cet enfer purificateur.

Alkimen réfléchit un instant, avant de crier comme directives d'apporter d'autres flèches et arcs, et d'attaquer les terribles navires pirates. Les elfes se remuèrent, arc à la main, et comme le feu n'apparaissait pas comme cela, il demanda le capitaine. Celui-ci, l'air anxieux quelque peu éclairé de joie par le retournement de situation, apostropha Alkimen de ce que celui-ci voulait.

-Auriez-vous quelque pouvoir surnaturel ? questionna le soldat avec une naïveté presque embêtante. Bien sûr que oui, il avait des pouvoirs. Tous les elfes ont des pouvoirs.

Zigwar comprit aussitôt, et sans répondre ni demander son reste, il partit sur le poste en haut aider les archers. Pendant ce temps, Alkimen prit cinq elfes avec lui, armés de couteaux de cuisine et parfois d'une hache de bûcheron, et corde en main, il la lança sur le navire le plus proche après avoir tonné qu'il ne fallait pas enflammer ce navire-ci, qu'on pourrait l'utiliser une fois le ménage fait. Sautant sur le bateau pirate, d'un seul et même geste ils abattirent un orc qui se demandait ce qui se passait, sa bêtise l'emportant sur sa soif de sang. Ils se frayèrent un chemin en croisant le fer et en tranchant partout les ennemis avec le même but: s'emparer du vaisseau. Alkimen vit un des elfes s'effondrer sous une lance mat qui lui perfora le poumon droit. L'humain abattit l'assassin d'un coup net à la gorge. Après avoir tué tous les marins et subalternes, ils aperçurent un gobelin tenter de s'échapper sur les autres bateaux. Pensant que c'était le terrible Missar-le-Borgne, ils le coursèrent, et finirent par le rattraper. D'un croche patte bien effectué, l'un des elfes immobilisa le gobelin avant de lui cracher au visage. Alkimen lui posa une main sur l'épaule pour le calmer.

-Missar-le-borgne ? demanda l'humain, un sourire victorieux se dessinant peu à peu sur son visage.
Le gobelin au début fut totalement stupéfait, puis les traits se raidirent, et il s'esclaffa bruyamment sous les regards sévères.
-J'ai deux yeux, bigleux ! cracha-t-il en continuant à rire. Ce n'était pas Missar.

Alkimen, une ombre peinte sur la face, décapita le gobelin violemment, laissant flotter dans l'air les derniers rires du pirate. Il demanda aux marins de diriger le navire hors de portée des flèches, et montant le poste, il était prêt pour un second bateau. Deux sur huit ! Si l'on en capturait assez, Zigwar aurait assez d'argent, et consentirait même à les payer cher, ce qui financerait la suite du voyage. Plus que six navires !

Alkimen sauta sur un autre navire, et là ce fut le massacre. Le paladin avait soif de sang, il voulait tuer. Il tourbillonna, et de son épée faucha bras et jambes, mains et têtes. Il était la faux de la Mort, et envoyant les pirates rejoindre le sombre lac de Charon, son regard était cruel, ponctué d'une joie glacée que jamais il n'avait ressenti. Le sous-chef d'un trois-mats, un humain droit et fier contrairement aux autres corsaires, ne se mit ni à genoux ni ne tendit ses poignets. Il accepta le fait qu'on allait l'exécuter pour piraterie. Refusant net de présenter ses bras pour qu'Alkimen les enchaîne, ce dernier mit à coup de pommeau dans la tempe du subalterne, et celui-ci s'effondra, inconscient. Alkimen releva l'humain d'une main, prit une corde de l'autre, et l'attacha. Avant de s'en aller attaquer d'autres ennemis, il planta son épée dans le bras de l'homme, lui faisait ressortir un gémissement de douleur. Alkimen ria et courut rejoindre d'autres combattants. Il ne restait que cinq vaisseaux. Flamberge salie de sang, elle avait absorbé l'éclat de la mort, pourpre fléau pour quiconque s'en approchait. Les bateaux étant très rapprochés les uns des autres, le Paladin en atteignit un en une grande enjambée. Un elfe renégat, à la peau sèche et sombre, releva la tête, dague en main. Il perdit la tête, au sens propre du terme. Ses yeux vitreux criaient alerte. Seulement ses yeux...
Le soleil se couchait, et l'humain pensa qu'il était temps de faire une trêve, pour panser les blessés et se reposer. Ainsi, il rejoignit Zigwar qui venait d'envoyer dans l'au-delà un petit gobelin au bandana. Le paladin lui demanda l'autorisation de s'entretenir avec le chef, pour établir une pause. "Vous êtes le seul maître à bord" entendit-il l'elfe prononcer. Inclinant la tête, l'humain repartit, et à l'aide du drapeau immaculé de paix, il cria au loin, quémandant une pause pour les deux camps. Un silence s'abattit, les épées pendaient lamentablement, déversant un flot de sang ou de tripes sur le sol. Tous, amis et ennemis, étaient fatigués. Un grand orc vêtu d'une toge orangée brodée de fils bleues, tonna dans le cornet que formaient ses mains:

-Pause accordée. Missar, mon vénérable maître, vous accorde une demi-journée.

"Sales hypocrites ! Ils ont autant besoin que nous d'un moment de répit" pensa hargneusement l'humain. Ainsi il lança des ordres aux marins alliés et les navires capturés en plus du vaisseau elfique s'en furent plus loin à l'est, sans pour autant s'échapper. Tout le monde s'activait, certains jetant cadavres à la mer (les alliés recevaient une prière, les autres un crachat), d'autres soignaient leurs blessures ou celles de leurs camarades. Alkimen s'entretenait avec le capitaine, et bientôt le décompte des provisions et armes restantes fut établi: il ne restait qu'environ un demi-millier de flèches, quelques couteaux de cuisine (une dizaine tout au plus) et une hache d'abordage. Les pertes humaines (ou elfiques) furent annoncées: on avait perdu sept hommes et trois elfes. Le paladin sonda l'eau de ses yeux dorés, et demanda à un matelot elfe s'il ressentait quelconque présence animale ou démoniaque dans l'hydrosphère. Le marin fit un signe de tête négatif. Alors Alkimen se dévêtit et, bientôt recopié par d'autres, plongea dans l'eau glacée. Celle-ci lui mordit d'abord le corps, avant de le rafraichir. Il se nettoya avec ses mains, son corps crasseux. Après cela, il retourna dans sa cabine, prit une chemise propre et se rasa. Il alla en cuisines et mangea à même les bras. Plus que cinq navires. "Nous en avons capturés deux."
S'affairant à satisfaire son estomac, il songea à l'elfe qui l'avait réveillé, lui gâchant la journée, ou plutôt la distrayant brutalement. D'un coup, il ressentit l'effet d'une claque, se souvenant avoir eu l'envie de meurtre, de faire couler le sang des ennemis: pire, il l'avait fait, et avoir joie. Il pria pour le salut de son âme, regrettant ses actes avec foi envers Lum'Dix.

Les ennemis traversaient le vide situé entre les deux bateaux. En l'espace de quelque seconde, leur courage et leur envie de tuerie les avait mené directement sur le pont elfique.
Les quatre premiers monstres furent tranchés à peine arrivé. Mais une dizaine d'autres étaient en chemins.
Cinq nouvelles créatures embarquèrent et encerclèrent le groupe. Les quatre alliés furent encerclés par cinq, puis dix ennemis.
Il y avait en tout six orcs et quarte gobelins, et ils attaquèrent aussitôt arrivés en formation circulaire.
Les gobelins étaient plus rapides, mais les orcs plus forts. L'elfe ordonna de tuer les grosses créatures avant et d'éviter les petites. Les trois elfes, agiles, esquivèrent leurs assaillants et frappèrent les orc avec la plus grande intensité qu'ils pouvaient avoir. Deux des ennemis touchés furent embroché par un fauchon et un long couteau de cuisine ; le troisième fut blessé à la cuisse, mais cela ne l'empêcha pas d'aller planter sa hache sur le front du matelot elfe.
Pendant cette petite seconde, l'humain était face à un orc et un gobelin s'avançait dans son angle mort, son glaive râpeux à la main. Sheïm bondit, retirant grâce à la force de ses pieds son épée qui était encore présente dans le corps vert, et partit sauver l'homme, emprise sous de mauvaises main. L'épée faucha la tête de la petite créature et une main poussa l'humain, lui faisant faire un roulé boulé vers le bord du vaisseau.
La hache orc tomba violemment sur le sol, laissant comme souvenir un trou petit, mais béant, sur la coque en bois de l'étage supérieur, et une entaille au niveau de la jambe de l'elfe. Par chance, la hache n'avait pas tranché le tendon, ce qui permettait encore la mobilité de l'être. Mais la douleur était telle que l'elfe tomba à terre, et son arme à une trentaine de centimètres de lui.

Un gobelin s'approcha, le sourire aux lèvres, si l'on pouvait appeler ça des lèvres - elles étaient corné et bleues, comme absentes de vie - et leva son glaive, tentant de taillader la poitrine de sa victime. D'un geste rapide et précis, Sheïm pris une flèche dans un des carquois qu'il avait dans le dos, et transperça la partie la moins rigide d'un corps normalement constitué, le cou. La trachée percée, le gobelin tenta de pousser un cris de douleur, mais rien ne parvint aux oreilles des êtres présents sur cette portion de bois du bateau.
Comme si le bateau ennemis admirait le spectacle depuis le début, une volée de flèches perça les airs et commença à retomber vers le vaisseau elfe.
L'elfe cria aux deux survivants "A couvert !" et sauta, à l'aide de sa seule jambe opérationnelle, sur l'orc qui l'avait assaillit il y avait quelques secondes.
Sans toutefois comprendre, ce dernier tenta de serrer l'elfe en pressant sa colonne vertébrale. A ce moment, Sheïm espéra qu'elles arriveraient à temps. La nuée de plus d'une centaine de flèches tomba sur le pont, assassinant les propres troupes du chef pirate. Laissant survivre les deux elfes et l'humain.
L'orc tomba lourdement, gardant sa proie entre ses bras. Écrasé par la lourdeur de la bête et épuisé du combat qui venait de se passé, l'elfe ne put bouger pour se libérer de l'emprise de la gravité.
L'humain vint à son secours, aidé par l'autre elfe, et ils l'aidèrent à se lever. Tout en boitant, Sheïm ramassa son épée et reposa son attention sur la prochaine vague d'assaut.

Peut être qu'un certain dieu l'avait voulu, et de par sa décision, un sifflement bref ramena les unités pirates vers leur bateau. Un des elfe était prêtre, il se cachait depuis le début dans la loge du capitaine, tremblant de peur. Voyant que le combat était fini, pour le moment, il décida de sortir afin d'apporter son aide. Ses talents de médecin et ses sorts érudits pour soigner les personnes dans le besoin furent bénéfiques à la fois pour Sheïm que pour les autres membres de l'équipage. La puissance du prêtre était diminué par ses attentions psychologiques, mais Sheïm parvint tout de même à tenir sur ses deux jambes, malgré une douleur toujours présente. Il banda la blessure et donna les ordres aux autres passagers.
Les corps ennemis furent jetés, sans haine, dans l'eau, les corps humains et elfes furent mis dans les sac, afin de les brûler après la bataille, du moins pour les elfes, et les armes à terre furent récupérées.
Dans quelques sanglots pour les morts, et d'autres prières, les navigateurs étaient de nouveau prêts pour le combat.